Publié dans Bouquinade, Roman

Leçons de chimie (Bonnie Garmus)

Amis du jour, bonjour !

Je vous le dis souvent, il m’est extrêmement difficile de parler d’un livre qui a chamboulé mon univers. Mon esprit, tel un culbuto, oscille entre le besoin viscéral (passez-moi le cliché) de vous en parler, et l’angoisse de ne pas trouver les mots qui vous pousseront immanquablement à vous procurer ce livre. Enfin, tentons tout de même la chose.

Sarakontkoi ?
Dans un récit construit entre un passé qui se dévoile et un présent étouffant, le lecteur découvre la vie singulière d’Elizabeth Zott, chimiste de son état, dans ces années 50-60 qui ne prêtaient guère aux femmes qu’une place dans leur cuisine. D’injustices en victoires insignifiantes, Elizabeth parvient pourtant, à travers l’émission de cuisine dans laquelle elle a été catapultée, à enseigner aux femmes quelques notions de chimie, mais aussi l’étincelle de la rébellion.

Tenpenskoi ?
Dieu que ce résumé me paraît pauvre en comparaison du chef-d’œuvre que j’ai lu ! Je l’ai dit sur Instagram lorsque j’ai terminé ma lecture, je suis persuadée que ce roman peut changer des vies. Beaucoup de lecteurices à qui je le conseille me demandent s’il s’agit d’une histoire vraie. Je réponds « non », mais j’ai envie de dire qu’Elizabeth Zott a vécu en Katherine Goble, en Joan Clarke, en Marie Curie, en toutes ces femmes qui se sont un jour entendu dire où est leur place, ce à quoi elles doivent ressembler, ce qu’il convient ou pas de dire… En plus donc de me parler en tant que femme, Leçons de chimie (paru en grand format sous le titre La Brillante destinée d’Elizabeth Zott) est une leçon d’écriture à bien des égards.

Premièrement, les personnages. Bien que le roman soit majoritairement écrit du point de vue d’Elizabeth, il donne une voix à beaucoup d’autres, aux antagonistes comme aux adjuvants. Certains partis pris sont surprenants, et pourtant… que serait ce récit sans le chien Six-Trente, la toute jeune Mad, l’infâme directeur de laboratoire ? Les femmes se trahissent puis se comprennent, les hommes sont démunis mais accompagnent. Rien n’est blanc, rien n’est noir. Et ce casting nous sert un délicieux melting pot d’interactions tantôt inspirantes, tantôt révoltantes.

Ensuite, comment ne pas parler du style ? Factuel et neutre, laissant les lecteurices s’indigner ou s’attendrir, dessinant des sourires de connivence sur les lèvres de ceux qui sauront lire l’ironie d’une histoire qui s’écrit sans que sa protagoniste en soit vraiment consciente. J’ai eu dans le regard, grâce à la plume de Bonnie Garmus, la tendresse d’une mère qui regarde son enfant inconscient faire son chemin dans la vie, tantôt inquiète, tantôt fière.

Enfin, au-delà du style, Elizabeth Zott est un parangon de résilience. Tout ce qui peut arriver de pire à une jeune femme dans sa situation… eh bien tout arrive. La loi de Murphy les amis. Mais, froide et directe, peu encline à se laisser aller, Elizabeth continue d’avancer. On ne s’appesantit pas sur les non-dits, les drames, les injustices. Ça ne veut pas dire que rien n’a d’importance. Simplement qu’elle n’a pas le choix. Et lorsque ses forces l’abandonnent, ce sont tous ces merveilleux personnages qui la portent jusqu’au crépuscule de ses journées.

Je n’ai plus de mots pour tenter de vous convaincre de lire ce roman. Je vous laisse donc maîtres de votre décision. Mais moi, si j’étais vous, je le lirais.

Pour info :
éditions Pocket (trad. de Christelle Gaillard-Paris), 544 pages, 9.50€

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Maïté coiffure (Marie-Aude Murail)

Amis du jour, bonjour !

Les auteurices francophones dont j’achète un roman les yeux fermés sont au nombre de 6 : Timothée de Fombelle, Maëlle Désard, Flore Vesco, Christelle Dabos, Cécile Alix… et Marie-Aude Murail bien entendu ! Et en ce qui concerne MAM, j’ai toujours eu le plus grand respect pour son travail auprès du jeune public, sans pour autant réellement m’arrêter sur ses romans. Cette erreur est réparée depuis ma lecture tardive de Angie !, suite à quoi je n’ai plus hésité à picorer ses écrits ici ou là. Cette chronique est le fruit de mes errances littéraires.

Le pitch :
Louis est un collégien un brin paumé. Les cours, c’est pas son truc, et en plus, comme tous les gosses de 3e, il doit trouver un stage d’une semaine. Son père, chirurgien émérite, cherche à le pistonner pour une place qui en jette un peu. Mais quand sa grand-mère lui dit que sa coiffeuse pourrait chercher quelqu’un, l’idée semble germer dans la tête de Louis… après tout, pourquoi pas ?

Mon avis :
Le roman était court, j’avais un peu de temps en caisse (tu sais comment ça marche maintenant, plutôt que de ne rien faire pendant mon heure de caisse, je préfère prendre un bouquin), c’était l’occasion rêvée. Dès le début, ça matche, y a un truc qui connecte. Ce gosse paumé, les attentes de parents bourgeois, lui qui n’aime pas les cours, et cette opportunité qui lui est présentée de faire quelque chose… d’inattendu. Oui, j’ai été séduite.

Au-delà du comique de la situation, accentué par l’écart de comportement, de culture et de génération entre Louis et ses nouveaux collègues, c’est un joli pêle-mêle d’histoires qui se nouent et de drames qui se jouent. La vieille, l’homo, l’allumeuse, toutes ces petites gens s’enroulent et se déroulent telles des bobines Super 8 sur l’écran vierge qu’est Louis, laissant leur empreinte, l’obligeant à se sentir concerné par le monde qui l’entoure. Et petit à petit, il fleurit, il s’anime et le roman s’emballe. C’est une naissance, une rédemption, une main tendue dont les mots se grave sur les pages et dans le cœur sous la plume simple et touchante de son autrice. Comme quoi, pas besoin d’en faire des caisses, de pondre des pages et des pages. Et c’est encore une master class de Marie-Aude Murail. Mic drop.

Pour info :
éditions l’école des loisirs, collection Médium Poche, 178 pages, 7.50€

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Sur la route d’Indianapolis (Sébastien Gendron)

Amis du jour, bonjour !

C’est avec ce billet que s’achève la série de chroniques de mon mois de septembre 2023 (je sais, on est en juin 2024, tout va bien, personne ne panique, c’est toi qui paniques !) Un très court roman, qui a croisé ma route, simplement (fortement aidé par ma copine Maëlle).

Sarakontkoi ?
1976. Lilian, 11 ans, passe quelques jours chez sa tante à Chicago. Il doit rejoindre son père en bus à Indianapolis. Alors qu’il descend se soulager lors d’un arrêt, le bus repart sans lui. Commence alors une longue course poursuite semée d’embûches.

Tenpenskoi ?
En voilà un résumé qui promet de l’action ! Et ce n’est pas peu dire, le roman ne s’arrête jamais ! Lilian rencontre des bandits en fuite, un flic véreux, prend un hélico qui tombe en panne… et tout ça parce qu’un imbécile de chauffeur a refusé de l’attendre. Alors oui, on se délecte du pétrin dans lequel se fourre ce petit frenchy dans un immense pays qui n’est pas le sien, et on sourit aux petites touches de culture US qu’on y trouve.

Mais sous couvert d’aventures, c’est beaucoup de nostalgie que l’on ressent à la lecture de ce court roman. Lilian est un jeune garçon qui vit seul avec son papa depuis le décès de sa maman, qui pense qu’il n’est pas assez bien et qu’il doit mentir pour impressionner les autres. Un jeune garçon qui mobilise des ressources insoupçonnées pour se sortir de tous ces ennuis qui lui tombent dessus, dépouillé de tous les outils qui lui auraient facilité la vie (un portable par exemple), qui a su malgré tout retrouver son chemin et renouer avec son père. Bref, c’est court et efficace, un chouette road trip à lire à partir de 8 ans.

Pour info :
éditions PKJ, 192 pages, 6.20€

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Bretzel Break (Maëlle Désard)

Ami du jour, bonjour,

Tu as vu le titre du billet, si tu suis ce blog depuis au moins 4 ans, tu as reconnu le nom de l’autrice (qui n’a aujourd’hui plus du tout besoin de moi pour présenter ses romans). Tu sais donc que je vais forcément te parler d’une bonne lecture…

Sarakontkoi ?
Victoire, 17 ans, déteste son tarin et a subi, pendant l’été précédant sa dernière année de lycée, une poussée mammaire effrayante. Et pour ne rien arranger, il y a cette petite voix dans sa tête, qu’elle appelle Défaite, et qui a tendance à appuyer là où ça fait très mal. Résultat : Victoire s’isole, sèche les cours et ment, ne trouvant de réconfort que dans l’apparente perfection que lui prêtent les filtres sur les réseaux. Lorsque sa mère s’en rend compte, elle décide de bousculer le quotidien de Victoire en l’inscrivant aux vendanges à côté de chez elle. De quoi la forcer à sortir de sa coquille, et faire quelques rencontre inattendues…

Tenpenskoi ?
En voilà une question bête quand la réponse est si évidente ! C’est un roman d’utilité publique, point. En moins de 10 mots : c’est drôle, touchant, écrit avec la verve que l’on connaît à Maëlle (bon, 12 mots). Le sujet est universel. Je ne connais pas une seule personne qui n’ait jamais douté d’elle-même, donc forcément, ça résonne. Et si le terme dysmorphophobie ne te dit rien, ferme les yeux et demande toi si, alors que ton corps, tes cheveux, ton nez, sont tout à fait normaux, tu ne t’es pas trouvé.e immonde, moche, gros.se ? Victoire, c’est toi, c’est moi, c’est ta fille, celle de ta voisine, ton élève. De la même manière que Christelle Dabos avait écrit le collège avec une acuité effrayante, Maëlle dépeint l’adolescence (surtout féminine ici), et les tentatives des parents de sauver leurs enfants d’un monde qu’ils ont du mal à appréhender.

Des émois d’un premier amour aux tourmentes d’un schéma familial éviscéré par une simple erreur, de l’amitié sincère à la culpabilité, les adolescents ressentent tout, sans pouvoir toujours mettre des mots sur leurs souffrances, leurs espoirs, leurs craintes. Et ce roman, c’est ça. C’est un appel à l’aide et une lueur d’espoir ; c’est ton plaid de réconfort et la baffe dans ta tronche qui te dit de te bouger. Il te comprend, il te berce, il te rassure. Bref, lis-le, offre-le, une fois, deux fois, mille fois. C’est jamais trop.

Pour info :
éditions Slalom, 304 pages, 17.95€

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La Grâce du moment (Juliette Moraud)

Amis du jour, bonjour !

Qu’il est difficile de chroniquer un roman six mois après sa lecture, d’autant plus quand le roman en question ne vous a pas laissé un souvenir mémorable… Mais il est lu, et doit donc passer sur le grill, comme tout le monde !

Sarakontkoi ?
La vie d’Achille, 17 ans, a basculé à la mort brutale de sa mère, six mois plus tôt. Depuis, son père s’enferme dans ses tocs, et lui fait bonne figure tandis qu’il sombre dans une profonde solitude, sèche les cours et ment à ses amis. Mais lors d’une soirée, c’est l’électrochoc : Nicolas, le frère de sa meilleure amie, l’embrasse.

Tenpenskoi ?
Six mois après, là, comme ça ? j’ai un vague souvenir de « mouais ». Mais comme je suis un minimum impliquée, j’ai réécouté mes avis de l’époque, et si c’est plus expliqué, ce n’est guère plus glorieux. Après le succès de Date me Bryson Keller, j’avais grandement envie d’une autre vibe Hearstopper… bon. Après un début assez lent (et légèrement déprimant), la première chose qui m’a frappée, c’est ce style lapidaire, fait de virgules et d’accumulations, qui propose une ambiance, mais a la fâcheuse manie de m’écraser. Le malaise d’Achille se traduit par une observation exacerbée de tout ce qui l’entoure, d’un col froissé à une mèche de cheveux, rendant le tout très contemplatif.

Du coup, tu es dans la tête d’un gosse qui souffre, qui sombre, et tu le sais. Moi et mes gros sabots d’insensible, on avait plutôt envie de le secouer, le gars. Sans compter que le fameux rythme saccadé est assez inégal, passant de trente virgules à la ligne à pas de ponctuation du tout. J’ai compris l’idée, mais j’aurais préféré qu’on alterne entre phases d’apaisement avec rythme plus lent, et moments de stress, marqués par ces saccades. Au lieu de quoi j’ai eu l’impression qu’on me balançait un gloubi-boulga déprimant à la figure. En soi, ce n’était pas une lecture désagréable, puisque j’ai terminé le roman. Mais l’ai refermé en me demandant ce qu’on avait essayé de me faire passer, parce que j’y suis restée hermétique… Je ne suis peut-être pas « la cible », mais un bon roman, même sur un sujet qui ne me touche pas particulièrement, aurait dû m’embarquer. Peut-être que je n’y ai simplement pas trouvé ce que j’étais venue y chercher.

Pour info :
éditions Actes Sud Jeunesse, 272 pages, 16.50€

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Petit déjeuner chez Tiffany (Truman Capote)

Ami du jour, bonjour !

Si tu as vu ma dernière vidéo, dans laquelle je te présente tous les livres que j’aimerais — non, que je vais — lire en 2024, tu y as forcément aperçu celui-ci. C’est l’un des romans qui a le plus attendu que je le lise. Mon petit cœur se serre à la pensée que son tour est enfin venu…

Sarakontkoi ?
Dans le New-York de l’après-guerre, le narrateur replonge dans ses souvenirs de la jeune et libre Holly Golightly, de ses rêves, de sa fougue et de son amour pour le magasin Tiffany, dont le luxe l’apaise. Pas une croqueuse de diamants, pas une enfant, mais pas tout à fait une femme, Holly Golightly charme et marque au fer rouge les hommes et les femmes qui croisent sa route.

Tenpenskoi ?
Ma maman ayant adoré l’adaptation cinématographique, Diamant sur canapé (que l’on ne présente plus), j’ai sauté sur l’occasion lorsque, pour mon premier salon du livre, j’ai vu un exemplaire du roman dans un élégant coffret. Tu l’auras peut-être compris, il a attendu bien longtemps sur mes étagères. Le livre, à ma grande surprise, ne contient pas un roman, mais quatre nouvelles, dont la plus longue a donné son nom au recueil. On y rencontre cette jeune femme d’une apparente naïveté, libre et farouche, brûlant pourtant de trouver la personne qui la fera se sentir chez elle. En attendant, elle multiplie soirées et rencontres, allumant dans le cœur des hommes une flamme qui consume les femmes de jalousie. Franche comme seuls les enfants savent l’être, impatiente, mélancolique, parfois capricieuse, je n’ai pu m’empêcher de voir en Holly un personnage tragique, qui dans son désir d’appartenance court encore et toujours après un rêve dont elle ignore tout.

Dans une très jolie réplique, qui m’a rappelé Le Petit Prince, Holly explique, en parlant de son chat qu’elle refuse de nommer : « nous ne nous appartenons pas. C’est un indépendant et moi aussi. Je ne veux rien avoir à moi jusqu’à ce que je trouve l’endroit où moi et les choses, on pourra s’appartenir ».

Dans les trois autres nouvelles, La Maison de fleurs, La Guitare de diamants, et Un souvenir de Noël, Capote explore les même thèmes, l’inexorabilité, l’envie d’autre chose, le besoin d’appartenance, les liens que l’on tisse et qui ne se brisent pas… En bref, une lecture marquante, des personnages forts où de petites histoires tentent de se faire grandes… et 14 ans, 7 déménagements et 2 faux espoirs plus tard, la magie a opéré !

Pour info :
éditions Folio, trad. de Germaine Beaumont, 192 pages, 8.30€

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Guerrière (Cécile Alix)

Ami du jour, bonjour !

On commence à se connaître un peu maintenant (enfin, surtout toi), tu sais que les romans crève-cœur, c’est pas mon dada. Mon environnement m’affecte suffisamment pour qu’en plus je veuille m’infliger les drames du monde. Et puis, il y a ces romans que des amis/collègues/autres sèment sur mon chemin pour m’obliger à le regarder, ce monde. Et là, ça fait boum boum.

Sarakontkoi ?
Nekeli et Soulaï, son frère jumeau, mènent une existence paisible dans leur village. Le gouvernement leur a promis une école dont ils n’ont que la première pierre, mais peu leur importe, leur école, ils la font eux-mêmes. Et puis un jour, c’est l’horreur, un jour, c’est la terreur, la violence. Nekeli et Soulaï sont enlevés par les Rebelles, forcés de tuer leurs parents et emmenés dans des camps pour être formés et endoctrinés. Pour mener une guerre qu’ils n’ont pas choisie. Une guerre qui n’est pas la leur. Quand la vie perd son sens, à quoi Nekeli peut-elle se raccrocher… à quoi bon survivre ?

Tenpenskoi ?
S’il me fallait encore une preuve que Cécile Alix a sa place au Panthéon des autrices francophones de son temps, la voilà. Je ne précise pas « autrice jeunesse », bien que je ne la connaisse que dans ce registre. Mais c’est très réducteur. Pour reprendre les mots de Kristin Scott Thomas dans l’excellente série Fleabag : « C’est ghettoïsant, c’est une sous-section du succès, c’est le putain de prix de la table des enfants. » Pour en revenir à Cécile Alix, grande autrice disais-je, mais aussi merveilleux être humain, forte et courageuse.

Et de la force, il en faut pour porter un récit tel que Guerrière. Parce que derrière Nekeli, il y a l’histoire vraie de Térèse, Gervais, Yaoundé, Urmila, Rosalie, Faustin et de centaines d’autres enfants soldats. Des enfants, aujourd’hui jeunes gens, que Cécile a rencontrés, écoutés, retranscrits. Pour écrire l’horreur, la rendre appréhensible, et concrète, Cécile Alix a dû, d’après ses propres mots, « briser la phrase » et « trouver sa propre grammaire », dans un rythme saccadé, décousu, qui m’a tenue en haleine du début à la fin.

Comme toujours, elle vise juste, sans tomber dans les pleureries pleines de bon sentiment, et nous propose un texte universel, beau et cruel, qui fait serrer les poings et brûler les larmes. On approche de la fable, de celles qui donne une voix aux invisibles, à ces vies volées, à la chair des canons qui hurlent le vide de la haine et du pouvoir. Bref, c’est dur, c’est beau, c’est pas tout rose, mais dieu qu’on aime voir Nekeli déployer ses ailes ! Un grand merci à Carole de me proposer des texte dont elle sait qu’il me sortent de ma zone de confort (on se souvient de A(ni)mal, de la même autrice, mais aussi de Cette nuit-là, d’Aurélie Massé). J’ai aussi une pensée pour Maëlle, qui m’avait ouvert cette voie avec des textes comme Autour de Jupiter, de Gary Schmidt. Je n’ai donc qu’un conseil : poussez cette foutue porte, écartez gentiment vos craintes, et laissez-vous porter !

Pour info :
éditions Slalom, 272 pages, 16.95€

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Sauveur & fils, saison 1 (Marie-Aude Murail)

Ami du jour, bonjour !

Laisse-moi te raconter une aventure pleine de rebondissements, de repentance et autres mea culpa, de doutes et de craintes, d’angoisses et, enfin, dans son dernier soupir, de plénitude (ok, je viens de divulgacher la fin de cette chronique).

Sarakontkoi ?
Sauveur Saint-Yves est psychologue clinicien. Il reçoit dans son cabinet toutes sortes de patients : des adultes persécutés aux parents désespérés, des adolescents en quête d’identité à ceux qui ne savent pas très bien comment ils sont arrivés sur le fauteuil de ce grand gaillard à la peau cacao, serein et bienveillant. Mais Sauveur, sous ses airs de gentil colosse, soigne ses propres cicatrices, et prend grand soin de cacher ses fêlures à son jeune fils, Lazare, pourtant désireux d’ouvrir le dialogue et de lever le voile sur leur passé…

Tenpenskoi ?
Je me suis décidée à ouvrir ce roman parce que, soyons honnête, je le vois passer tout le temps sur les réseaux. En dehors de ça, c’est écrit par Marie-Aude Murail, grande figure de la littérature jeunesse devant l’Éternel, et MAM, c’est sacré. Je devais découvrir ce roman, qui, si j’en croyais les retours que j’avais lus/entendus, devait m’apaiser, me redonner foi en l’humanité (oui oui, rien que ça !). J’ai donc subtilisé l’exemplaire que je conserve précieusement dans mes rayons à la librairie pour le bouquiner pendant mes heures de caisse (oui, le boulot de libraire, ce n’est pas QUE lire).

Ma première impression, je l’ai partagée en commentant une chronique sur Instagram. J’étais alors happée par le roman, mais réellement angoissée parce que je voyais le fossé s’élargir entre Sauveur et son fils, j’entendais la colère, le chagrin, la peur dans le discours des patients de Sauveur. La peine de ces adolescents m’a heurtée, peut-être plus que je ne m’y attendais. Donc, au lieu de me sentir à l’aise dans mon pilou-pilou tasse de thé et tout le tralala, j’ai commencé à sérieusement me sentir mal. C’est la réponse de Marie-Aude à ce commentaire qui m’a ouvert les yeux. Elle a écrit : « ça m’a toujours étonnée qu’on parle de doudou ou de feelgood book à propos de mes livres. J’aborde des tonnes de trucs qui n’ont rien de rose bonbon… mais je pense que j’ai une grande aptitude à remonter vers la lumière et à garder une vision tendre et humoristique de notre pauvre humanité. » À ce moment-là, j’ai compris à quel point ce que j’avais pu lire autour de Sauveur & Fils m’avait induite en erreur. J’étais partie d’un très mauvais pied, et j’avais oublié une de mes règles premières : faire confiance à l’auteur. J’ai donc appréhendé la seconde partie du roman de la manière la plus neutre possible, et je l’ai laissé me raconter son histoire.

Et Bibidi Babidi Boo, la magie a opéré. J’ai aimé la maladresse et la fragilité de Sauveur, j’ai (un peu) jugé les adolescents, sur qui j’avoue avoir posé un regard condescendant avant de me reprendre et de rappeler à mon bon souvenir que j’avais, moi aussi, pensé vivre la fin du monde plus d’une fois. J’ai cessé d’avoir peur pour Lazare, ce gosse intelligent, drôle, et franc dans ses rapports. J’ai aimé ses questions, ses façons de les poser. Et Marie-Aude Murail a, encore une fois, exercé sur moi sa magie. Elle a su, dans un style que je qualifierais de muraillesque, me faire accepter l’imperfection du monde, et même apaiser les angoisses qui avaient pu naître sur les premières pages. Comme les romans de Cécile Alix, graves dans leur sujet, Marie-Aude Murail m’a mis un coup de coude dans les côtes, en me disant : « eh, écarte les doigts, jette un œil autour de toi, c’est pas joli-joli, mais qu’est-ce que c’est beau, quand même, de vivre… » Et pour ça, un grand merci.

Pour info :
éditions l’école des loisirs, collection M+, 400 pages, 8.50€

What’s Not To Love (Emily Wibberley/Austin Siegemund-Broka)

Ami du jour, bonjour !

Il y a parfois quelques drôleries dans la vie. Comme recevoir un roman que tu n’étais pas censée recevoir, et que tu lis par erreur. Mais qu’est-ce qu’il est cool quand même ! Qu’à cela ne tienne, c’est un joli hasard.

Sarakontkoi ?
En vrai, ça commence comme commencent 80% des ennemies-to-lovers adolescents : ils se battent pour être majors de promo, et ils sont au coude à coude. Pour les départager, la Principale demande à Alison et Ethan de préparer ensemble la soirée des anciens élèves. Ils doivent tous les deux briller, mais un désaccord au journal du lycée risque de remettre les pendules à l’heure… ou de faire tourner les boussoles.

Tenpenskoi ?
Enfin une romance adolescente qui fait voler des papillons dans le ventre sans proposer de relation toxique ! Oui Alison et Ethan sont rivaux, mais il ne se détestent pas « parce qu’ils s’aiment ». D’ailleurs, Ethan le souligne : elle est trop intelligente pour aimer un garçon qui la traite mal, et lui n’est pas le genre minable qui est horrible avec une fille parce qu’il l’aime. Merci ! On lit certes une romance qui commence par une forte inimitié, où le désir naît dans un moment de colère, mais l’intelligence des personnages est mise au centre de cette relation. Ils ont les idées confuses, peur pour leur avenir, ils se cherchent et se découvrent assez semblables. Ça, c’est très cool.

Les auteurs ont pris soin de développer l’histoire personnelle d’Alison (merci !) : heureux accident tardif d’un couple assez âgé, bien établi, qui a vécu une belle vie, elle est aimée, encouragée, et même calmement remise à sa place. Un fossé la sépare de sa grande sœur, beaucoup plus âgée qu’elle, qui cherche pourtant à renouer avec elle, donnant lieu à des scènes touchantes. Sa meilleure amie, Dylan, bisexuelle, peine à se remettre de sa rupture avec son ex-copine, et saute sur la première occasion de replonger dans cette relation malsaine où elle ne s’épanouit pas. Bref, des problématiques d’adolescente. Et on excuse volontiers ces airs de caricature qu’elle emprunte (elle est TRÈS compétitive, TRÈS égocentrique, elle a TRÈS peur de l’échec) parce qu’ils servent ses relations avec son entourage.

Ni le style, ni la construction du roman ne révolutionnent le genre, mais il remplit la check-list de la romance, sans tomber dans ses pires clichés, ni dans la caricature du « je te blesse parce que je t’aime ». Les personnages, en dehors de leur rivalité, sont sains, et ça sonne beaucoup plus vrai. Bref, une lecture très sympa qui n’a pas encore de traduction française, mais si tu lis l’anglais, il n’a rien de très compliqué…

Pour info :
éditions Viking Books, 400 pages, entre 12 et19€ (ça dépend des plateformes !)

Publié dans Bouquinade, Roman

Date me Bryson Keller (Kevin van Whye)

Ami du jour, bonjour !

Il y a quelques mois sont apparus sur les rayons des librairies les romans d’une nouvelle maison d’édition (enfin, un nouvel imprint en fait, c’est-à-dire un nom commercial sous lequel une maison d’édition publie un ouvrage, en l’occurrence, Korrigan est un imprint de City). Je sortais de mon obsession pour Heartstopper (parce qu’en vrai, combien de fois peut-on regarder la même saison de la même série, et relire les livres, sans commencer à tourner en rond ?) Bref, je cherchais à prolonger le plaisir, dans la même ambiance. Et voilà que je vois ce titre ; je le demande sans grand espoir à la community manager… qui me l’envoie ! Mais alors, est-ce que ça valait le coup de vous faire une intro aussi longue ?

Sarakontkoi ?
Pour Bryson Keller, beau gosse populaire du lycée, l’amour adolescent, ça ne vaut pas grand chose et ça ne dure jamais. D’ailleurs, pour illustrer son propos, il fait le pari de sortir avec une personne différente chaque semaine, la première qui lui demandera de sortir avec lui le lundi matin. Une règle : rien de physique. Agacé par ce petit jeu et le bazar que ça met au lycée, le timide Kai relève le défi la dernière semaine. Parce que Bryson n’a jamais précisé que seules les filles pouvaient jouer…

Tenpenskoi ?
Trêve de suspens, oui ça valait le coup ! La preuve, je l’ai conservé dans ma bibliothèque. Est-ce que j’ai retrouvé l’ambiance Heartstopper ? Totalement. Bryson est totalement un Nick : droit dans ses bottes, fait ce qu’il dit, et explore les possibilités qui s’offrent à lui. Il se pose les bonnes questions, et ça fait du bien ! Bien entendu, on ne peut pas s’attendre à ce que cette révélation soit acceptée par tous ses proches…

Si le style n’a rien de très original ; on aime les personnages, leurs doutes, leurs erreurs. On s’agace pour, avec ou contre eux. J’avoue que la relation de Bryson avec sa mère est apaisante. Celle de Kai avec ses parents est touchante, jusqu’à son coming out, douloureux, qui confronte l’amour parental aux idéologies religieuses, entre autres… les scènes de coming out sont d’ailleurs directement inspirées du vécu de l’auteur. Gros big up à la petite sœur de Kai, véritable soleil sur ce passage compliqué. Le roman ne fait pourtant pas dans le drama (en dehors d’une ou deux scènes), donc si vous avez besoin d’un truc tranquille et apaisant, d’une chouette romance (que je trouve parfaite pour l’été), j’ai envie de dire foncez !

Pour info :
éditions Korrigan, trad. de Raphaëlle O’Brien, 304 pages, 17.90€