Amis du jour, bonjour !
Novembre touche gentiment à sa fin à l’heure où j’écris ces lignes, les fêtes arrivent, avec leur lot de festins et d’indigestions, et je m’en vais vous parler bouffe. Enfin, moi non, mais Xavier Dorison et Antoine Cristaux (sublimés pas les illustrations de Stéphane Servain), eux, ils vont vous mettre l’eau à la bouche !
Le Pitch :
Les 30 Glorieuses n’ont pas été clémentes pour tout le monde. Après la guerre et la honte du régime de Vichy, on cherche des têtes à faire tomber. Notamment celle de Ducerf, qui dirige l’une des plus grosses cimenteries d’Europe, accusé d’avoir vendu du béton aux Boches. Alors, pour épargner son épouse et son fils Ulysse, qui doit passer son baccalauréat, il les envoie à la campagne. C’est là qu’Ulysse, loin d’être enthousiaste à l’idée d’entrer à Polytechnique, fait la rencontre d’un chef étoilé déchu : Cyrano. Tous deux écorchés, ils comblent, en compagnie l’un de l’autre à travers la cuisine, les trous béants qu’a creusés la vie.
Mon avis :
C’est à l’occasion de ma découverte de la (toute jeune) Librairie de la Monne que mon amoureux m’a acheté cette bande dessinée, ô combien plébiscitée par mon collègue Alex (expert es-BD, vous le savez, depuis le temps que je vous en parle). Les bandes dessinées qui parlent de bouffe, c’est mon dada, encore plus que les romans parce qu’en général, les illustrations portent les couleurs mais aussi, pour une raison que je ne m’explique pas, les saveurs et les odeurs.
Celle-ci n’a pas fait exception, et j’avoue que la terrine de lapin (dont la recette est indiquée en fin d’ouvrage) m’a mis l’eau à la bouche. La cuisine y est décrite comme un art, un équilibre presque scientifique, mais aussi un moyen d’expression. Le plaisir est au centre de tout. Celui des sens, bien entendu, mais aussi celui de l’âme. Elle ouvre les cœurs, épuise les corps, et panse les plaies. Elle est source de discorde, de fatigue, de honte, et paradoxalement, de plaisir et de fierté.
On s’attache peu à peu à Ulysse, ce gosse sur qui pèsent les attentes de générations qui s’enorgueillissent du succès de leurs descendants, pousses vertes qu’ils ont fait grandir sans soleil. Les classes sociales sont d’ailleurs encore très présentes après la guerre. Quant à Cyrano, s’il a perdu l’amour et l’admiration de ses voisins, c’est d’abord parce que, par amour pour son art, il n’a pas su se préserver. Et c’est beau de les voir tenter de communiquer, et se comprendre non par les mots mais par passion du travail bien fait. Retrouver leur estime de soi dans un domaine trop souvent rabaissé dans la hiérarchie des mérites. Parce qu’être cuisinier, ce n’est pas assez, parce qu’être chef étoilé demande trop, ces deux âmes se retrouvent quelque part au milieu, entre la maladresse et le courage. Celui de devenir ce que l’on veut être, et non ce que l’on attend de nous.
Bref, c’est goûtu, joli, gourmand, toujours assez juste et jamais moralisateur ; chapeau les artistes !
Pour info :
éditions Casterman, 192 pages, 34.90€
