Ami du jour, bonjour !
La chronique d’aujourd’hui n’a pas traîné : sitôt terminé, sitôt chroniqué. Ce roman, j’en ai beaucoup entendu parler sur des comptes Instagram que je suis, et j’avoue, en grande amoureuse des dicos et des langues, avoir été piquée par la curiosité. Qui plus est, il était entouré d’une telle aura, presque mystique, qu’il fallait bien que je voie de quoi il retourne…
Sarakontkoi ?
Robin, jeune sino-britannique, est sauvé de la maladie et arraché à sa Chine natale par un universitaire anglais taiseux mais curieusement familier. A Londres, il est éduqué comme un jeune homme de bonne société, et forcé d’étudier les langues mortes et vivantes. Il intègre ensuite Babel, le prestigieux institut des langues et de la traduction de l’université d’Oxford. Babel, dont la renommée est fondée sur l’utilisation d’une magie secrète utilisant le sens perdu entre un mot et sa traduction, gravés sur des barres en argent. Robin doit rapidement faire un choix : servir les puissants de ce monde dans l’ombre, ou bien se battre contre la domination mortelle de l’Empire britannique aux côtés d’une organisation secrète du nom de Hermès… ?
Tenpenskoi ?
La vache, tu ne peux pas t’en rendre compte, mais j’ai tellement galéré pour écrire ce résumé ! Babel est un récit complexe, un pamphlet contre la domination des cultures (quelles qu’elles soient), une ode à la diversité, un traité anticolonialiste, un cri qui résonne à travers les âges. Ouais, rien que ça !
Le système de magie (peut-on réellement réduire le pouvoir évoqué dans le roman à de la magie ?) est basé sur une réflexion simple et pourtant si évidente : traduire, c’est trahir. Parce qu’une langue est bien plus qu’un paquet de mots, de règles orthographiques et grammaticales. Une langue est une culture. Vouloir transposer un texte, un mot, dans une langue qui n’est pas la sienne nécessite de la part de son traducteur une connaissance infaillible de la culture d’origine et du destinataire de ladite traduction. Faut-il alors mettre un texte à la portée de celui qui le reçoit ? Ou bien le forcer à voir le texte à travers les yeux d’une autre culture ? Bref, tout un tas de pistes que j’ai trouvées fascinantes.
Fort heureusement, au vu de la complexité des idées exposées (bien que le roman soit très abordable), le nombre de personnages y est limité. Là où R.F. Kuang aurait pu se contenter d’une simple dichotomie du Bien contre le Mal, elle teinte les combats les plus nobles de motivations personnelles, de colère, de violence. Se pose la question universelle : peut-on changer le monde dans la paix ? Peut-on se battre pour des idéaux sans (faire) souffrir ? Mais lorsqu’enfin le dénouement se profile, on comprend que le monde écrit sa propre tragédie, à l’encre de ses souffrances, de ses croyances aveugles, sourd au réel sens du mot « traduction ».
Bref, un roman très fort, dont je regrette de voir la traduction atterrir chez un éditeur connu pour la piètre qualité de son travail sur les textes étrangers… Si tu lis l’anglais, vas-y, c’est accessible, et c’est ouf !
Pour info :
éditions Harper Voyager, 560 pages, 20.29€
