Publié dans Bouquinade, Roman

De l’autre côté des rails (Renea Winchester)

Ami du jour, bonjour !

Je t’en ai déjà parlé un certain nombre de fois, mais une de plus ne fera aucun mal. Le roman dont je vais te parler aujourd’hui, je l’ai reçu grâce à Léa, qui gère le Pica River Book Club (un club de lecture dédié à la littérature nord-américaine), qui organise des partenariats avec des éditeurs, mais aussi parfois des rencontres avec les auteurs. En l’occurrence, les éditions Le Nouveau Pont, Léa et les nouvelles technologies nous permettent de rencontrer Renea Winchester ce soir-même ; il est donc opportun de partager avec toi ma lecture.

Sarakontkoi ?
En 1976, à Bryson City, dans un mobil home miteux, vivent trois générations de femmes : une fille, une mère, une grand-mère. Leur quotidien est rythmé par la vie de l’usine de textile, qui donne du travail à la majorité de la ville. Mais à Bryson City, il y a ceux qui vivent dans de jolies maisonnettes et qui ont une chance de s’en sortir, et ceux qui vivent de l’autre côté des rails et luttent pour leur survie. Embourbées dans ce quotidien qui les dévore, chacune de ces trois femmes n’aspire qu’à une chose : partir. Vivre une vie meilleure.

Tenpenskoi ?
Je ne connaissais pas du tout les éditions du Nouveau Pont. Mais l’idée de lire une espèce de tranche de vie sur fond de fresque sociale m’a tout de suite attirée. Tu l’auras compris si tu suis le blog depuis quelques temps maintenant, ce n’est pas franchement le genre de lecture vers lequel je me tourne d’instinct. Mais j’aime bien, parfois, arpenter d’autres horizons littéraires. Et ce fut le cas ici.

Ce que j’ai d’abord apprécié — parce que dès les premières pages, c’est ce qui me fait dire si ma lecture sera un cauchemar ou non — c’est le style. Fluide, efficace. En cela, je pense pouvoir saluer également la traduction. Ensuite, j’avoue que le côté « famille de femmes » me plaisait assez. Voir combien les anciennes rancœurs, la culpabilité et les incertitudes pèsent sur chaque être humain, en particulier sur le sexe féminin, qui porte sur ses épaules la responsabilité du foyer, du revenu, de l’éducation. Le roman se positionne dans les années 70, dans une petite ville ouvrière des États-Unis, mais on pourrait tout aussi bien être partout ailleurs.

C’est aussi l’histoire de ces femmes qui n’osent pas se donner une chance, à qui on a répété qu’elles n’avaient pas le choix, que leur condition allait définir ce que serait leur vie entière. L’histoire de celles qui n’ont pas le droit de rêver, d’ambitionner, de partir. C’est aussi l’histoire de celles qui ne renoncent jamais, celles qui affrontent et surmontent chaque obstacle. Et puis, c’est un regard tendre sur ces communautés impitoyables envers leurs membres, et pourtant toujours présentes si nécessaire. L’amour vache quoi. Le roman était drôle, touchant, révoltant, inspirant. Non, vraiment, une chouette rencontre.

Pour info :
éditions Le Nouveau Pont (traduit de l’anglais par Marie Bisseriex), 240 pages, 20€

Publié dans Bouquinade, Roman

Se cacher pour l’hiver (Sarah St Vincent)

Ami du jour, bonjour !

Mes billets arrivent nettement moins vite que mes stories. Tu l’auras deviné, il est plus facile pour moi de dégainer mon téléphone et de te causer d’une lecture que je viens de terminer que de me poser devant mon clavier pour essayer de mettre au clair mes idées. Bref, voici donc enfin mon avis posé et réfléchi sur cette lecture.
Précision : le roman m’a été envoyé par Delcourt dans le cadre du club de lecture Picabo River Book Club, géré par Léa, qui fait un travail de fou pour qu’on puisse recevoir des livres issus de partenariats.

Sarakontkoi ?
Depuis l’accident de voiture qui a tué son époux et l’a salement amochée, Kathleen mène une vie recluse dans le parc naturel des Blue Ridge Mountains. Elle vit avec sa grand-mère et travaille dans un snack minable, vide la plupart du temps, en particulier en hiver, lorsque les touristes désertent la région. Son quotidien, baigné dans la torpeur des anti-douleurs, est bousculé lorsqu’arrive un étranger qui semble tout faire pour demeurer invisible. De discussion en jeux d’échecs, il ouvrira pour Kathleen les lourds bagages de son passé, et déchirera chez elle des plaies qu’elle pensait oubliées.

Tenpenskoi ?
Honnêtement, si tu as suivi mes avis en cours de lecture sur Insta, tu sais que le début m’a gênée. Quelques passages maladroits, que j’avais imputés à une traduction malheureuse, et une sale manie de l’autrice de donner trop ou pas assez de détails sur ses scènes. Bref, si j’en étais restée là, je me serais dit « mouais, c’est sympa comme lecture ». Mais j’ai continué, parce que le livre exerçait sur moi une fascination que je ne comprenais pas encore.

C’est au fur et à mesure que Kathleen sort de sa torpeur, qu’elle se révèle, que le roman commence à nous engloutir. On est loin des rythmes endiablés, mais Sarah St Vincent donne à son texte quelque chose d’envoûtant. Curiosité malsaine ou simple intérêt, avant qu’on ne s’en rende compte, le roman a refermé sur nous son piège, et nous pousse à travers les méandres de souvenirs brumeux et douloureux, qui révèlent enfin, sur la dernière partie, l’horreur d’un silence trop longtemps gardé.

Avec le recul, je comprends mieux la démarche, les maladresses. Et si c’est un roman sur lequel je ne me serais certainement pas arrêtée, je suis vraiment heureuse d’avoir croisé sa route. Parce qu’il évoque avec un détachement pourtant presque passionné un sujet grave qui pourrait vite devenir larmoyant. Il m’a coupé le souffle, me l’a redonné, et a serré ma gorge. Je n’en dis pas plus, parce que je pense que chaque lecteur doit faire son propre chemin. Et lorsque je ferme ce livre pour la dernière fois, les maladresses du début son oubliées, et je n’ai qu’une envie : me lever et marcher. Chapeau bas à Sarah St Vincent, avocate spécialisée dans les droits de l’Homme (oui oui, comme Marc Darcy), qui, en un roman, parvient magnifiquement à transmettre l’essence des histoires qu’elle croise.

Pour info :
éditions La Croisée (anciennement Delcourt Littérature), 264 pages, 21.50€

Publié dans Bouquinade, Roman

My absolute darling (Gabriel Tallent)

Ami du jour, bonjour !

Aujourd’hui, je viens te parler d’une lecture pas facile. Un bouquin que j’ai pas vraiment aimé, mais qui m’a retourné les tripes. Je le reluquais depuis un petit bout de temps, mais j’avais toujours mieux à acheter, et puis lors d’une visite à ma copine Fanny, nous avons profité d’un aprèm flâneries à Limoges pour prendre un café dans une librairie-café. Très sympa comme endroit, mais aussi très sélect. Les livres paraissent choisis avec soin par le libraire. Je me suis donc dit que c’était le moment de plonger… dans une piscine sans eau…

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Sarakontkoi ?
Turtule a 14 ans, et le moins qu’on puisse dire, c’est que son enfance est loin de celles des jeunes de son âge. Élevée par un père abusif et étouffant, elle ne comprend pas le monde qui l’entoure. Elle voue une haine féroce à ceux qui essaient de l’aider, aussi forte que celle qu’elle se voue à elle-même. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Jacob et Brett, dont les aventures n’ont de limite que celle de leur imagination nourrie à la fantasy et à la science-fiction. À leur contact, elle risque d’ouvrir les yeux sur sa condition…

Tenpenskoi ?
C’était difficile. Très difficile. Je ne sais même pas par où commencer. L’écriture est décousue, saccadée, elle avance, elle repart en arrière. Les personnages semblent en constant débat avec eux-mêmes, et vous pouvez lire beaucoup de dialogues qui ressemblent à « Bordel, Turtle, bordel. Bordel ». On sent le conflit intérieur, comme un ouragan (merci Stéphanie) qui emporte les pensées des protagonistes et rend le tout très hermétique pour le lecteur. Le malaise.

Je me suis infligé cette lecture comme Turtule s’inflige le comportement abusif de son père. J’ai souffert, j’ai détesté le père, si violent, si manipulateur. J’ai détesté Turtle, parce qu’elle se laissait faire, parce qu’elle avait envers elle et envers les femmes en général des mots très durs et injustes. J’ai détesté les personnages qui gravitent autour de Turtle et de son père, qui essaient d’intervenir, sans jamais vraiment s’impliquer, ou qui choisissent de fermer les yeux.

Mais j’ai adoré la fin, cette espèce d’expiation, de tentative de guérison. Un peu d’espoir, mais pas trop, la fin est ouverte, mais le processus est en route. Dans ce bouquin, on voit le pire des gens, mais aussi le meilleur. Les ressources qu’on a en nous, mais qu’on ne soupçonne pas, à moins d’en avoir un besoin vital.

Bref, j’ai détesté ce livre, j’ai maudit ce livre. Mais quelle lecture !

Pour info :
éditions Gallmeister, 464 pages, 24,40 EUR