Publié dans Bouquinade, Litté de l'imaginaire (SF, Fantasy, Fantastique)

Trilogie d’une nuit d’hiver, T1 : L’Ours et le rossignol (Katherine Arden)

Amis du jour, bonjour !

Je n’ai absolument aucune idée de la manière dont je vais chroniquer ce roman. Il s’agit encore une fois d’un roman que le bookclub a mis sur mon chemin de lectrice. J’en avais entendu beaucoup de bien, il partait donc avec un avantage…

Le Pitch :
Vassia, dernière née d’un chef de village, au premier abord assez disgracieuse, adore les histoires que lui raconte sa nourrice ; plus particulièrement celle du roi de l’hiver. Mais, pour Vassia, ce sont bien plus que des histoires. En effet, elle est la seule à voir les esprits protecteurs de la maison, à entendre l’appel insistant des sombres forces de la forêt qui semblent s’éveiller. Ce qui n’est pas du goût de la nouvelle femme de son père, dévote acharnée, bien décidée à éradiquer de son foyer les superstitions ancestrales.

Mon avis :
Proposé dans le cadre du thème des réécritures de contes, parce qu’inspiré du folklore russe, voilà un roman qui aura partagé les lectrices du club. Long, souvent contemplatif, il est certains qu’il ne vous gardera pas éveillé.e.s pendant vos longues soirées d’hiver. Un lecteur peu attentif pourrait croire que mon appréciation du roman est donc plutôt mauvaise. Détrompez-vous. Long ne veut pas dire ennuyeux. Contemplatif peut vouloir dire beau. C’est donc un roman qui prend son temps. Qui, telle une soirée d’hiver, engourdit un peu vos doigts, vous pousse à vous enrouler dans une couverture avec une soupe bien chaude pour profiter de votre lecture.

Vassia est de ces personnages dont le charisme transcende le roman. Sans être démonstratif, son caractère franc et sa gentillesse naturelle, son refus de laisser sa famille ou ses proches lui dicter sa conduite sont rafraîchissants. J’aime qu’elle soit décrite comme étrangement laide au premier regard, mais d’une beauté sauvage et fascinante lorsqu’on s’y attarde, loin des standards établis. Sans en faire des caisses, Vassia se creusera un trou dans votre cœur et y restera blottie indéfiniment.

Autour d’elle, Katherine Arden réécrit les légendes russes, le froid qui mord, le vent qui parle et ces petits esprits qui partagent notre quotidien. Elle réécrit le combat entre les anciennes croyances et le christianisme outrancier et démonstratif, qui, s’il a longtemps cohabité avec les déités mineures locales, a à présent décidé de les chasser. Elle décrit le puritanisme qui pourrit le cœur et le corps. L’amour qui détruit par peur de perdre. Bref, un superbe roman qui laisse présager une suite épique dont on m’a dit le plus grand bien.

Pour info :
Trad. Jacques Collin
grand format : éditions Denoël, 368 pages
format poche : éditions Folio SF, 464 pages

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La Fille renard et la merveilleuse boutique-sur-pattes (Andy Sagar)

Amis du jour, bonjour !

Vous connaissez ces romans qui vous font envie de ouf, dont le pitch fait palpiter votre petit cœur de lecteurice, mais qui tombent complètement à plat ? J’ai bien peur que ma lecture du jour soit de ceux-là.

Sarakontkoi ?
Felicity Fox déteste ses oreilles de renard, qui lui valent d’être exhibée dans un cirque ambulant depuis sa plus tendre enfance. Lorsqu’un corbeau, familier de la sorcière de thé Miss Dumpling, vient la délivrer et lui annonce qu’elle a été choisie pour devenir l’apprentie de sa maîtresse, Felicity n’hésite pas. En chemin, elle fait pourtant une rencontre étrange, un homme qui lui propose de la débarrasser de ses oreilles… mais le contrat est truqué et le temps de Felicity est compté…

Tenpenskoi ?
Comme je l’ai dit, j’avais très très envie d’aimer ce livre. Un salon de thé qui marche bon sang ! Des thés qui soignent, des pâtisseries, un RENARD ! Mais que s’est-il passé ? Tout a commencé à la page 20, quand une gamine s’égare dans la forêt parce qu’elle perd de vue l’animal qui est venu la délivrer (bravo le guide !), et qu’elle tombe sur un mec louche, à qui elle ne fait pas confiance, mais elle SIGNE quand même un contrat avec lui. Cinq minutes de lecture et je me dis déjà qu’il y a un souci de construction. Le roman me prend un peu pour une débile tout le long, me martèle des choses qu’il pense que je n’ai pas comprises… Le tout m’a donné une impression décousue.

Les péripéties s’enchaînent, mais parfois c’est trop long (tu comprends en lisant une phrase par page), parfois ça saute du coq à l’âne. Des violons magiques qui charment les monstres sortent d’une poche (WTF ?), et moi, tout ce que j’entends, c’est « ta gueule, c’est magique… et c’est pour les mômes ». Et je me demande pourquoi on prend les mômes pour des teubés. Trop de questions explicitement posées sans réponse, de deus-ex-machina (le truc qui sort de nulle part où tu te dis « comme par hasard »), alors que bon sang, le roman regorge de thèmes et d’items géniaux, comme les thés concoctés spécialement pour chaque consommateur, chaque situation, l’idée de pacte faustien, de recherche des origines, d’estrangelins (êtres magiques abandonnés chez les humains qui ont donc oublié la magie)… Et puis, on en parle de cette traduction ? Pourquoi un nom aussi signifiant que Yesterday Crumb (littéralement « hier » et « miette », ce qui aurait une réelle importance dans la construction du personnage) devient un banal Félicity Fox (oui, on avait compris qu’elle avait des oreilles de renard) ? Bref, je suis en colère, parce le potentiel était incroyable et qu’on s’est laissé aller à la facilité. C’est un peu paresseux, et c’est très dommage.

Pour info :
éditions PKJ (trad. Emmanuelle Gros), 336 pages, 16.20€

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Sang-de-Lune (Charlotte Bousquet)

Ami du jour, bonjour !

Il m’est venu, il y a quelques temps, comme une envie de Charlotte Bousquet. Ma cagnotte Vinted était chargée à bloc, et je me suis dit « mais quel mal y aurait-il à me prendre quelques occas’ qui me font bien envie ? » Je me suis donc retrouvée avec Des œillets pour Antigone, Là où tombent les anges, et le fameux Sang-de-Lune, que je vous présente aujourd’hui.

Sarakontkoi ?
Dans la cité souterraine d’Alta, les Fils du Soleil (les hommes) règnent en maîtres. Les Sang-de-Lune (les femmes) du fait de leur impureté et des ténèbres qu’elles portent en elles, sont reléguées au rang d’épouses, parfois d’esclaves dans leur propre maison. Gia apprend qu’elle a été promise à un homme violent et qu’elle devra bientôt quitter sa petite sœur. C’est pour la sauver d’un avenir sombre qu’elle décide de s’enfuir avec elle dans les tréfonds de la cité, vers les sauvages, les peuples libres, et les monstres qui rampent dans le noir…

Tenpenskoi ?
La quatrième de couverture fait état d’un roman lunaire, de ténèbres et de chimères. C’est tout à fait ça. Personnellement, je m’attendais à quelque chose de plus criant, de plus nerveux. Mais Gia est un personnage endoctriné qui doit se battre contre elle-même pour accepter la vérité : on lui a menti sur ce qu’elle est, sur le fondement même de la société dans laquelle elle évolue. Elle étouffe ses élans de révolte sous des couches de culpabilité. Coupable pour des crimes que ni elle, ni les autres femmes n’ont commis. Si nous, lecteurs, avons le recul nécessaire pour nous en apercevoir, ce n’est pas le cas de ces femmes dociles sous les assauts de leurs époux, cruelles les unes envers les autres, dévorées de ténèbres qui n’existent que dans leur imagination.

De fait, je lis un roman en demi-teinte. Le poing frappe moins fort que ce à quoi je m’attendais, la course est plus lente. Et pourtant chaque ligne fait douloureusement échos, sous couvert de littérature imaginaire au trait grossi, à la place qu’a longtemps occupée la femme (et qu’elle occupe encore dans certaines cultures). Un être vil, malfaisant, qui doit être maté, étouffé, mutilé. La punition par lapidation pour des fautes qui n’en sont pas, pour l’expiation d’un péché causé par la maltraitance des hommes est insupportable, et Charlotte Bousquet ne nous épargne rien. Ni la mort, ni la cruauté, ni les trahisons. C’est un roman court, lent et parfois presque léthargique, qui figure un éveil progressif et douloureux, jusqu’à une révélation inattendue qu’on aurait voulue libératrice mais qui laisse un goût amer dans la bouche… Ce que j’en ai pensé ? C’était intéressant, dérangeant, et j’ai eu comme un goût de pas assez, mais j’ai conscience que le développement d’une intrigue aurait gâché le propos…

Pour info :
éditions Gulf Stream, collection Electrogène, 320 pages, 17€

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Les Douze d’Aritsar, T1 : La Vengeance de la Dame (Jordan Ifueko)

Ami du jour, bonjour !

Il est temps aujourd’hui de sortir un peu des sentiers battus, de ces romans vus et revus. Réjouissons-nous que les SP arrivent parfois à l’improviste… dernièrement, c’était plutôt pour le pire. Là, c’est pour le meilleur.

Sarakontkoi ?
Tarisaï est la fille de la Dame, une femme froide et énigmatique qu’elle ne voit que rarement. Elle vit à l’abri du monde extérieur dans une maison au milieu des steppes verdoyantes de Swana, où elle reçoit la meilleure éducation. Puis elle est envoyée à la capitale de l’empire d’Aritsar afin d’être sélectionnée pour faire partie du Conseil du futur empereur. Une fois consacrée par le Rayon, une puissante magie qui l’unira à l’empereur et aux onze autres membres du Conseil, le vœu que la Dame a formulé est que Tarisaï tue le prince héritier. Mais comment tuer celui qu’on a juré de protéger ?

Tenpenskoi ?
Voilà un moment que je n’avais pas été aussi agréablement surprise, pour ne pas dire déstabilisée, par un roman de fantasy ! Tu découvres, dès les premières lignes, un univers riche et profond dont les parfums exotiques chatouillent tes sens de lecteur. Un brin exigeant sur le début — parce que nous avons très peu l’habitude de ce genre de fantasy, il faut le dire — le roman pose les bases d’un univers cohérent (et c’est plus que bien des lectures que j’ai faites dernièrement) et profond, gouverné par d’anciens mythes, croyances, et autres malédictions. On évite cependant l’écueil de la prophétie (dieu merci) et du personnage tout puissant pour nous dessiner, en négatif, le portrait d’une jeune fille intelligente, forte, mais effrayée et en constante demande d’amour et d’approbation. Un personnage qui, entre la première et la dernière page, aura entamé une impressionnante transformation, jusqu’à se retourner contre son essence même.

Au-delà des personnages, réels porteurs de sens, je salue la fluidité de la plume qui, sans s’encombrer de jolies fanfreluches, parvient à nous transporter dans son esquif sur la rivière paisible de son récit. J’arrête ici les métaphores ampoulées pour clarifier mon propos : je l’ai déjà écrit, j’aime les auteurs qui savent raconter des histoires, ceux qui se mettent en retrait pour mettre leur plume non au service de leur propre personne, mais à celui de leur récit. C’est simple dans la forme pour donner au fond tout le pouvoir d’envoûter son lecteur. De fait, tout le roman a presque une portée de conte, de fable, qui nous enseigne… Et bien entendu, cerise sur la Garonne, les sujets de l’émancipation, de la réalisation, du dépassement de son image, sont au centre du roman. Le tout magnifiquement traduit par Anne Delcourt, dont je salue le travail. C’est bien la première fois que je ne fronce pas le nez sur une épreuve non corrigée, parce que les seuls erreurs que j’y ai rencontrées sont de petites coquilles. Je n’ai pas râlé sur le style, sur des platitudes, ni sur des erreurs de registre ou de vocabulaire. Que du bon donc, que je vous recommande vivement !

Pour info :
éditions Nathan, trad. de Anne Delcourt, 464 pages, 19.99€

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La Fille d’encre et d’étoiles (Kiran Millwood Hargrave)

Ami du jour, bonjour !

Toi qui me suis sur Insta, tu auras remarqué le décalage entre mes retours en stories et mes retours écrits… Les boules, il faut vraiment que je rédige mes chroniques au fur et à mesure. Je le dis, mais vais-je le faire ? C’est parfois compliqué de faire un retour écrit, et donc construit, à chaud. C’est parti pour une lecture que j’ai terminée en janvier, qui traînait dans ma PAL depuis 3 ans (c’est pas si pire, crois-moi), que j’ai sorti grâce à Justine (du compte @lesgardiensdelabibliothèque) pour une lecture commune.

Sarakontkoi ?
Il y a bien des années est arrivé sur l’île de Joya un gouverneur tyrannique qui a décrété que personne ne pouvait plus en partir, ni se rendre au nord de l’île, déclarée zone interdite. Isabella, 13 ans, vit sur l’île avec son papa, un cartographe renommé. Sa meilleure amie n’est autre que Lupe, la fille du gouverneur, avec qui elle se dispute, et qui, pour prouver sa valeur, s’enfuit dans les forêts du Nord. Envahie par la culpabilité, Isabella accompagne, en tant que fille de cartographe, le gouverneur et sa suite pour tenter de sauver Lupe…

Tenpenskoi ?
Résumer ce roman s’est avéré assez complexe pour moi ; je t’ai parlé d’une partie de l’histoire, mais il me paraît évident que tout ça est bien vide, parce que je ne t’ai pas parlé des légendes de l’île. L’intrigue principale est imprégnée de tout un folklore local, de combats entre une bonne déesse nourricière et un démon avide. C’est un réel conte initiatique, que j’ai rapproché dans sa forme de celui de Vaiana (oui oui, le Disney) où la protagoniste grandit, mais entraîne également dans son sillage bien des changements, et la réalisation d’une sorte de prophétie. Il y est question de vengeance divine, de combat entre le bien et le mal, la nature et le feu.

Le roman, tant dans la légèreté — et presque la poésie — de son texte, que dans la construction de ses personnages, est un réel délice. L’autrice n’essaie pas de créer des personnages d’enfants (souvent trop ingénus/perspicaces/innocents), elle les laisse au contraire s’épanouir ; elle ne les épargne d’ailleurs pas dans leurs épreuves. Elle fait appel à l’intelligence émotionnelle du jeune lecteur en ponctuant son récit de mille dangers (tout à fait réels), en les confrontant à la mort et au mensonge. La fin en particulier m’a beaucoup touchée, parce que bien qu’elle soit assombrie par des événements dramatiques, c’est aussi une libération, au sens propre comme au figuré. Une libération de la parole, des désirs, des espoirs, un renouveau. Bref, une superbe lecture, tout à fait inattendue.

Pour info :
éditions Michel Lafon (trad. de l’anglais par Philippe Mothe), collection Poche, 307 pages, 6.60€