Publié dans Bouquinade, Roman

Guerrière (Cécile Alix)

Ami du jour, bonjour !

On commence à se connaître un peu maintenant (enfin, surtout toi), tu sais que les romans crève-cœur, c’est pas mon dada. Mon environnement m’affecte suffisamment pour qu’en plus je veuille m’infliger les drames du monde. Et puis, il y a ces romans que des amis/collègues/autres sèment sur mon chemin pour m’obliger à le regarder, ce monde. Et là, ça fait boum boum.

Sarakontkoi ?
Nekeli et Soulaï, son frère jumeau, mènent une existence paisible dans leur village. Le gouvernement leur a promis une école dont ils n’ont que la première pierre, mais peu leur importe, leur école, ils la font eux-mêmes. Et puis un jour, c’est l’horreur, un jour, c’est la terreur, la violence. Nekeli et Soulaï sont enlevés par les Rebelles, forcés de tuer leurs parents et emmenés dans des camps pour être formés et endoctrinés. Pour mener une guerre qu’ils n’ont pas choisie. Une guerre qui n’est pas la leur. Quand la vie perd son sens, à quoi Nekeli peut-elle se raccrocher… à quoi bon survivre ?

Tenpenskoi ?
S’il me fallait encore une preuve que Cécile Alix a sa place au Panthéon des autrices francophones de son temps, la voilà. Je ne précise pas « autrice jeunesse », bien que je ne la connaisse que dans ce registre. Mais c’est très réducteur. Pour reprendre les mots de Kristin Scott Thomas dans l’excellente série Fleabag : « C’est ghettoïsant, c’est une sous-section du succès, c’est le putain de prix de la table des enfants. » Pour en revenir à Cécile Alix, grande autrice disais-je, mais aussi merveilleux être humain, forte et courageuse.

Et de la force, il en faut pour porter un récit tel que Guerrière. Parce que derrière Nekeli, il y a l’histoire vraie de Térèse, Gervais, Yaoundé, Urmila, Rosalie, Faustin et de centaines d’autres enfants soldats. Des enfants, aujourd’hui jeunes gens, que Cécile a rencontrés, écoutés, retranscrits. Pour écrire l’horreur, la rendre appréhensible, et concrète, Cécile Alix a dû, d’après ses propres mots, « briser la phrase » et « trouver sa propre grammaire », dans un rythme saccadé, décousu, qui m’a tenue en haleine du début à la fin.

Comme toujours, elle vise juste, sans tomber dans les pleureries pleines de bon sentiment, et nous propose un texte universel, beau et cruel, qui fait serrer les poings et brûler les larmes. On approche de la fable, de celles qui donne une voix aux invisibles, à ces vies volées, à la chair des canons qui hurlent le vide de la haine et du pouvoir. Bref, c’est dur, c’est beau, c’est pas tout rose, mais dieu qu’on aime voir Nekeli déployer ses ailes ! Un grand merci à Carole de me proposer des texte dont elle sait qu’il me sortent de ma zone de confort (on se souvient de A(ni)mal, de la même autrice, mais aussi de Cette nuit-là, d’Aurélie Massé). J’ai aussi une pensée pour Maëlle, qui m’avait ouvert cette voie avec des textes comme Autour de Jupiter, de Gary Schmidt. Je n’ai donc qu’un conseil : poussez cette foutue porte, écartez gentiment vos craintes, et laissez-vous porter !

Pour info :
éditions Slalom, 272 pages, 16.95€

Publié dans Bouquinade, Litté de l'imaginaire (SF, Fantasy, Fantastique)

La Servante écarlate (Margaret Atwood)

Ami du jour, bonjour !

Laisse-moi te dire que j’ai dû digérer un peu le roman dont je vais te parler avant d’écrire ma chronique. J’ai beaucoup de mal à mettre de l’ordre dans mes idées, comme à chaque fois que le sujet me touche, tu commences à avoir l’habitude. Dis-toi que ce bouquin, je l’ai écouté (oui, parce qu’il s’agit d’un livre audio) sur toute la période de notre dernière tentative de FIV. On aurait pu trouver mieux comme timing…

servante_ecarlate.jpg

Sarakontkoi ?
Le roman se situe dans une société américaine fermée qui subit de fortes baisses de fertilité dues à divers facteurs (notamment une « catastrophe » dont il est question une ou deux fois dans le livre). Dans cette nouvelle société, les femmes sont sacrées. Les épouses de Commandeurs sont privilégiées, les Econofemmes sont les épouses d’hommes pauvres, les Marthas sont des sortes de gouvernantes dans les maisons riches. Et les Tantes endoctrinent les Servantes, ces femmes vêtues de rouge, seules capables de procréer, dont les riches couples louent les services…

Tenpenskoi ?
La. Claque. Ca fait un moment que je n’avais pas lu un aussi bon roman de SF. Il s’agit ici d’une dystopie, la description d’une société qui se veut parfaite, mais qui cache en fait un régime de répression et de suppression des libertés.

Un passage m’a marquée au cours de ma lecture : il évoque la différence entre « liberté de » (freedom to) et « libéré de » (freedom from). Les femmes ne sont plus libres de faire ce qu’elles veulent de leurs corps, puisqu’elles sont devenues sacrées. Mais elles sont libérées du regard des hommes, du poids du paraître. Dans ce sens, le livre twiste dangereusement l’état d’esprit du lecteur, et on en arrive même à se dire « est-ce si mal ? » C’est ce danger que pointe Margaret Atwood. Ces pensées liberticides qui agissent pour le bien de l’Humain. Elle décrit une société tyrannique, sans libertés, révoltante, qu’elle met en contraste avec notre société actuelle, tellement brutale, sale, effrayante qu’en tant que lecteur, on est perdus, tiraillés entre notre révolte interne et cette solution définitive, liberticide, qui pourtant solutionne les combats que nous menons aujourd’hui.

Tout ça bien entendu sur fond de cataclysme (dont on ignore la nature). On sait juste qu’à un moment, le monde a cessé de tourner rond, et que la réponse de cet état américain (le Massachusetts si mes souvenirs sont exacts) a été de geler les libertés, en commençant par les comptes en banque des femmes. Tout ça dans une passivité générale effrayante. Mais dans leur situation, aurions-nous fait différemment ? Les quelques manifestations et contestations ont été étouffées. Privées de moyens financiers, les femmes n’ont eu d’autre choix que de passer dans la clandestinité, ou de s’en remettre aux hommes. Les enfants issus de seconds mariages, d’adultères, ou hors mariage ont été arrachés à leur famille pour être confiés à des familles pieuses « dignes » de les élever, donc riches.

Margaret Atwood nous tient et nous coince dans un présent quasi constant qui nous étouffe, nous empêche d’avancer, d’aller de l’avant, qu’elle entrecoupe de bribes de souvenirs décousus, confus parfois. De sensations passées. Comme Defred, on ne comprend pas comment la société en est arrivée là. Le final est sans importance, relayé au second plan, avalé par l’énormité de ce qu’on vient de lire. L’épilogue, une conférence universitaire qui a lieu probablement des dizaines d’années plus tard, après la chute de cette « civilisation », ironise cette partie de l’Histoire, la relègue à une simple étude du passé, oubliant presque que ce qui est arrivé alors peut encore se produire aujourd’hui. Cela ne ferait-il pas échos à… ?

Le roman est très dense, j’en ai probablement oublié. Mais lisez-le.

Pour info :
éditions Robert Laffont, 544 pages, collection Pavillons Poche, 11,50 EUR

Publié dans BD, Bouquinade

L’anniversaire de Kim Jong-Il (Aurélien Ducoudray / Mélanie Allag)

Ami du jour, bonjour !

Tu la sens cette fin de semaine qui arrive ? Est-ce que tu entends les oiseaux chanter, est-ce que tu sens la brise fraîche du matin, qui malheureusement ne s’attarde pas ? Est-ce que tu savoures ce moment où tu quittes le boulot pour rentrer chez toi, pour ne pas être accueilli par ton chat parce qu’il a la flemme de bouger ses papattes du canap’, poser tes pieds nus gonflés sur le carrelage frais et aller faire ta vaisselle avant d’embrayer sur la popote du soir (et du lendemain parfois) ? Doux Jesus, cette phrase était interminable !

Bref, si tu vois de quoi je veux parler (et même si ce n’est pas le cas) je te propose de t’accrocher à tes petits bonheurs, parce que ce soir, on rend visite à une population nettement moins bien lotie que toi et moi…

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Sarakontkoi ?
Jun Sang a 8 ans, il vit en Corée du Nord. Il est né le même jour que Kim Jong-Il, son héros, le cher guide de sa patrie. Il fait partie d’une brigade de gamins dévoués corps et âme à ce « cher guide ». Dans son pays, en période de pénurie, la télévision explique que ce n’est pas bon de trop manger, qu’il faut réduire le nombre de repas à un par jour. Dans son pays, après l’école, c’est aux champs qu’il va travailler. Dans son pays, on hait ces chiens d’Américains et de Coréens du Sud. Comment remettre en cause la ferveur et l’amour d’un enfant pour son dirigeant lorsque la chance de fuir le pays se présente ? Jun Sang ne pensait pas qu’il vivait dans l’antichambre de l’enfer, et que ça n’était que le début.

Tenpenskoi ?
Bon, je vais être honnête : moi je n’y connais rien en géopolitique, je sais que la Corée du Nord est une dictature, qu’il n’y fait pas bon vivre, parce que les têtes tombent selon le bon vouloir du parti. Je sais aussi qu’une fois l’an, on rejoue le jeu de la Terreur, en nous faisant croire que Coréens du Nord et Américains vont nous faire sauter la tête. À part ça, je ne m’étais jamais vraiment attardée sur le sujet. Pas jusqu’à ce que — je te le donne en mille — Lemon June en parle sur sa chaîne Youtube (d’ailleurs, si tu veux voir sa vidéo, clique ici).

Je me souviens de l’état dans lequel l’avait mise sa lecture. Elle en était vraiment retournée. Moi, ça m’a touchée. Je veux dire qu’elle ne fait que mettre des mots et des images sur ce qu’on sait déjà plus ou moins. La Corée du Nord est une prison. Pas seulement parce qu’elle contrôle les mouvements de sa population (il faut une autorisation pour aller à la campagne… en Corée du Nord), mais aussi pour l’esprit ! La question qui me vient en tête, c’est combien de Coréens du Nord sont endoctrinés, persuadés que leur leader est un héros et que le reste du monde est pourri ? Et combien sont simplement terrifiés au point de rester dans les rangs et de ne rien dire ?

Le dessin, simple, enfantin, tantôt coloré, tantôt en noir et blanc, contraste avec le thème grave de la BD, qui rend abordable pour le premier venu (moins, en l’occurrence) ce sujet pourtant très douloureux à appréhender. Parce que oui, ça existe encore. Et oui, on se sent impuissant. On est loin de docus comme Nuit et Brouillard qui te crache à la gueule toute l’horreur du monde. Ici, l’horreur est de voir tout ce qui peut se passer à travers les yeux innocents mais, avouons-le, endoctrinés, d’un gamin. Un gamin qui aime son quotidien, chérit sa patrie, et pourrait même renier son père Sud-Coréen. Là, tu te dis : au moins, je sais.

Bref, si tu te sens concerné par la question Nord Coréenne, ou si tu veux juste lire quelque chose de différent et de vrai, je te propose L’Anniversaire de Kim Jong-Il, c’est un bon début.

Pour info :
éditions Delcourt, collection Mirages, 128 pages, 17,95€