Attention, mesdames, mesdemoiselles (oui, je le garde celui-là, c’est mon préféré), messieurs,
Aujourd’hui, sur Derrière mes binocles, une invitée de marque, j’ai nommé Christelle Dabos, l’auteur de La Passe-miroir, grande gagnante du concours Gallimard Jeunesse de l’an dernier. Encore une histoire extraordinaire, et pour votre plus grand plaisir, cette Cendrillon monomaniaque — qualificatif qu’elle emploie elle-même — vous entrouvre la porte de son havre paisible. Paisible ? Pas tant que ça. Bienvenue à vous, chers lecteurs (et mille merci à Christelle et son attachée de presse chez Gallimard) :
1- Bonjour Christelle, et merci de bien vouloir vous prêter au jeu. Pourriez-vous vous présenter brièvement ? Depuis quand écrivez-vous ? Pourquoi le concours Gallimard ?
J’ai eu le déclic de l’écriture sur un banc de la Faculté de Lettres de Nice. Non, non, absolument aucun rapport avec les cours, je n’écoutais pas le professeur quand ça s’est produit. J’étais même plutôt en train de piquer du nez, pour être honnête. Et voilà que soudain, une main m’a glissé une feuille de papier avec pour seule mention : « C’est l’histoire d’un professeur qui faisait la danse du loir pour hypnotiser ses élèves. Écris la suite. » À l’autre bout de la main, il y avait cette amie incroyable qui a tout de suite cru en mon imagination et qui m’a vue auteur bien avant moi. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire : avec de petits textes comiques destinés à faire sourire cette amie pendant les heures de cours (étudiants consciencieux, ne suivez pas notre exemple).
Ce goutte-à-goutte s’est transformé en fleuve. Je me suis mise à écrire des dizaines de pages, puis des centaines. Je me suis amusée à écrire la suite très personnelle des Harry Potter quand le cinquième tome se faisait désespérément attendre. J’ai aussi écrit des histoires de femmes chevaliers lorsque Tolkien est redevenu à la mode, mais je ne parvenais pas encore à trouver MON univers. L’édition ? Je n’y songeais même pas. L’écriture était une passion que je ne partageais qu’avec un cercle très fermé d’amies et que je n’associais pas à l’idée de profession.
C’est quand j’ai quitté la Côte d’Azur pour la Belgique et que j’ai commencé à écrire les premières pages de La Passe-miroir que j’ai senti que je tenais enfin quelque chose qui me ressemblait. Et comme la vie n’est pas un long fleuve tranquille, c’est aussi à ce moment-là qu’on m’a diagnostiqué un cancer de la mâchoire. J’ai dû subir une opération très lourde, suivie d’une convalescence très longue. J’avais vingt-huit ans, pas de travail, plus de vie sociale. Encouragée par mon compagnon, j’ai repris l’écriture de plus belle. Je me suis inscrite à une communauté d’auteurs sur internet appelée « Plume d’Argent » : dès que j’ai commencé à leur soumettre les débuts de La Passe-miroir, ils ont été formidablement enthousiastes. J’ai écrit et réécrit en bénéficiant de leurs conseils et de leur exemple. Je leur dois tous mes progrès !
Ce sont ces plumes argentées, comme je les appelle maintenant, qui m’ont parlé du concours organisé par Gallimard Jeunesse et qui ont insisté pour que j’y participe. Après tout, j’avais déjà retravaillé le premier tome de La Passe-miroir, ça ne me coûtait rien d’essayer. Pourtant, je dois avouer que j’avais le trac. Je me sentais encore trop frileuse pour songer à l’édition. J’en ai discuté avec mon compagnon et je me suis finalement lancée… la veille de la clôture des candidatures.
Après tout, même si j’en avais perdu quelques unes en chemin, il me fallait enfin songer à mordre la vie à pleines dents.
2- Plutôt coin de table dans un café à la J.K. Rowling ou tisane et plaid sur votre canapé ? Comment écrivez-vous le mieux ?
Ah, ah, sans la moindre hésitation : plaid et canapé ! Et du chocolat chaud à intervalle régulier, s’il vous plait. J’ai besoin de calme quand j’écris, même si je voue une admiration éperdue aux auteurs capables de s’y mettre n’importe quand et n’importe où. De toute façon, il est préférable que je sois seule. J’ai tendance à baragouiner à haute voix quand je dois m’attaquer à un nœud dans l’intrigue ou à un personnage qui me donne du fil à retordre (souvent Thorn, tiens).
3- Comment écrit-on un univers comme le vôtre ? Il est étrange, à la fois post-apocalyptique et complètement fantasyste si je puis dire. Des influences particulières ?
J’ai toujours été attirée à la fois par les ambiances Belle Époque à la Marcel Pagnol et par les ambiances antédiluviennes à la sauce Atlantide et Tour de Babel. Il a fallu qu’une amie belge me mette À la Croisée des mondes de Pullman entre les mains pour que je me rende compte, émerveillée, qu’on pouvait concilier les deux dans un roman ! C’est aussi à la même époque que j’étais à pleine vapeur dans les Harry Potter et que j’ai découvert l’esthétique fabuleuse de l’adaptation filmique des Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire.
C’est forte de toutes ces influences que je me suis imaginé un ailleurs où il n’y aurait pas de frontières bien définies entre la technologie et la magie, entre le passé et l’avenir, entre ce qui serait vraisemblable et ce qui serait impossible. Je ne me suis posé aucune véritable limite, je voulais juste donner de la matière à ce qui me faisait, moi, rêver.
4- Les personnages sont pour le moins atypique, tout cela me fait penser à un patchwork dont les pièces seraient dépareillées (aucune offense, au contraire !). Un quasi géant brutal, une maigrichonne fragile, une acariâtre, et une quasi-déesse… Quelle est la recette que vous suivez ?
J’aime bien quand chaque personnage possède une identité marquée et qu’aucun autre ne lui ressemble. C’est peut-être mon côté méridional qui s’exprime, mais j’adore exagérer et forcer le trait, tout en montrant au lecteur que ces apparences-là sont souvent trompeuses.
Pour La Passe-miroir, j’ai imaginé presque tous les personnages à partir d’Ophélie, l’héroïne-qui-paie-pas-de-mine. Je la voulais petite et empotée ; son fiancé, Thorn, devait donc être son parfait contrepoint. Berenilde incarne la parfaite dame de cour qu’elle est incapable de devenir. Quant à la tante Roseline, toute de tendresse pragmatique, elle lui permet de ne pas perdre le nord.
5- Après le dernier tome (d’ailleurs, combien de tomes prévus ?), avez-vous d’autres projets ? Une envie d’écrire autre chose ?
Je table sur quatre tomes pour La Passe-miroir. Et comme je suis monomaniaque, non, je n’ai absolument aucun autre projet, aucune autre envie pour le moment. Je me lève avec La Passe-miroir, je me couche avec La Passe-miroir, je mange avec La Passe-miroir, je respire avec La Passe-miroir. Ce monde est devenu une partie de moi-même et tant que je ne l’aurai pas exploré jusqu’au bout, je crois que je serai incapable de lui être infidèle.
Merci pour votre disponibilité !
Merci à « Derrière mes binocles » pour m’avoir donné la parole !